dimanche 16 juin 2013

Mon père



J’ai lu tout ce qui a été écrit sur mon père, il y a un an et il y a quelques jours, et...
Je voulais écrire. Ecrire pour répondre à tout ce que je venais de lire. Ecrire pour mettre de l’ordre dans mes pensées. Mais tout est lié, tout s’embrouille, et je ne sais que faire ressortir. C’est un amalgame de pensées et de sentiments…
J’ai découvert un autre père. Un autre père, et le même, un père que je soupçonnais mais que je n’avais pas besoin de connaître. C’était son monde et pas le mien, et je lui laissait le soin de me montrer ce qu’il voulait que je voie de lui seulement. Que tant de personnes connaissent mon père, que tant de personnes sachent des choses de lui, mais surtout l’aiment, je trouve ça étrange. Mon père, personne ne le connaissait vraiment.

Mon père, je ne me suis pas rendue compte d’à quel point je l’aimais. C’était nos silences qui nous rapprochaient. On écoutait les autres, on écoutait l’autre parler avec les autres, on s’observait, et on se considérait avec fierté. Fierté de voir ce que l’autre était, devenait. Mais surtout, on ne se parlait pas de nous. On n’était pas équipés pour.
Mon père c’était mon arbre. Celui qui serait toujours là. Celui auprès duquel je pourrais toujours retourner. Celui qui ne me demandait rien. Juste d’être à la hauteur de moi-même, de suivre un chemin, et de, si possible, être heureuse.

Ca fait un an. Un an que je ne parle pas. Un an que je sens les émotions passer en moi, me frapper, me remuer. Un an que je ne me sens pas le droit d’être triste, un an que je m’oblige à continuer ma vie sans m’arrêter. Mais maintenant, maintenant que l’idée s’est bien installée dans les pensées, que tout le monde a digéré, moi je reviens dessus.
Qu’on ne me parle pas de « faire son deuil », j’aurais trop envie de répondre que c’est des trucs de gonzesses. Je veux juste connaître mon père. Savoir ce que les gens pensaient de lui. Je veux juste savoir ce que je n’aurais jamais le temps de savoir. Connaître ce qu’il ne pourra jamais m’apprendre.
Mon père, c’était mon dictionnaire interactif. J’avais une question, il connaissait la réponse, ou faisait en sorte de la connaître. Je voulais apprendre, ou comprendre quelque chose, il me l’expliquait. Ca a toujours été comme ça. Et ça fait un an que ça ne l’est plus. Ca fait un an que je me sens seule, un an que je cherche sa présence partout. Même inconsciemment. Que je cherche des personnes pouvant juste représenter un petit bout de mon père.
Le problème, c’est que c’était pas seulement parce qu’il était François Granger qu’il était comme ça. C’est parce que c’était mon père. Mon papa. Et sans lui, j’ai peur. 

Je me suis projetée vers l’avant, j’ai tout fait pour continuer à avancer. Mais je me retrouve à un stade bâtard. Je ne suis plus une enfant, et je deviens entièrement responsable de mes actes. Je prends la mesure des choses. Mais malheureusement on ne me voit pas encore comme ça. Ils ne comprennent pas que j’ai déjà tracé mon chemin, que j’ai couru là où les autres marchent. Et je n’ai plus de papa pour lui poser toutes les questions du monde. Je n’ai plus de papa pour me regarder avec fierté quand je réussis quelque chose. Je n’ai plus de papa pour m’offrir la chaleur de sa maison. Je n’ai plus de foyer où me rendre un week-end sur deux, de foyer simple et vivant, empli de silences et de paroles.
Je suis seule. Je n’ai pas de papa à qui souhaiter la fête des pères aujourd’hui. Et demain j’ai la première épreuve de mon baccalauréat. Et je n’ai personne pour me lancer un regard confiant. Un regard qui veut dire « je sais que tu réussiras ». Et puis je n’ai personne pour me dire : « C’est pas grave. Tu tentes une prépa, tu essayes et c’est le plus important. Si tu ne réussis pas, c’est pas grave. Ta vie ne dépend pas de ça. »

Ma mère me dit que c’est facile de ne voir que les bons côtés. Que c’est facile de penser qu’il était parfait une fois qu’il est mort. Que c’est facile d’oublier ses défauts. Et je suis d’accord. Je connais ses défauts, j’ai même été amenée à mieux les voir après sa mort. Mais je me contente de simplicité. Toujours. De silences, de regards, de courtes phrases. C’est lui qui me manque. En entier. En tant qu’être humain, et en tant que papa.

C’est mon petit moment d’égoïsme. Un des premiers que je me permets depuis un an. Un petit moment où je ne pense pas à Luce et à Louise que j’aime très fort, ou à ma mère qui le connaît depuis ses vingt ans, ou à mon frère, Jean-louis, Toups, Benoît, et tous ses frères et sœurs en somme, qui ne parlent pas.


Un moment où je me permets de redire « moi aussi je t’aime papa ».